Hiroshima

Plans rapprochés

Comment le travelling peint-il l’errance ?

Elle marche dans la rue ; elle l’a quitté, peut-être définitivement, mais elle sait au fond d’elle qu’il ne la laissera pas partir comme ça. Elle déambule donc dans Hiroshima, attendant l’heure de son avion, mais attendant avant cela qu’il vienne la récupérer, alors même que, depuis le récit qu’elle lui a fait au tea room de l’événement de Nevers, sa mémoire vient superposer à la réalité japonaise ce que fut Nevers.

Alors que l’homme a retrouvé la femme devant le salon de thé où elle s’était rendue après leur séparation, ils marchent côte à côte ; puis elle s’éloigne, la caméra la suit en travelling arrière, tandis qu’il reste derrière quelques pas, flou 01. Puis il s’immobilise, tandis qu’elle sort du champ.
On entend une sorte de monologue intérieur : « Il va venir, me serrer dans ses bras… »
Elle est maintenant seule : la caméra la suit de dos en un travelling avant, marchant sous les néons multiples.

Un plan plus large la fait apparaître de loin, et on la voit laisser filer un taxi qui ralentissait 03. L’idée vient qu’elle marche sans but, qu’elle se laisse aller dans la ville ; et cette déambulation spatiale va se doubler d’une sorte de déambulation dans le temps.

Le plan suivant installe le cadre de cette rêverie : nouveau travelling avant, qui la suit, mais la caméra la dépasse et s’élève un peu, prenant la perspective de la plupart des plans ultérieurs : des rues vues par quelqu’un qui lève la tête en avançant 04. Nous sommes en quelque sorte passés dans sa tête à elle. Un thème musical commence, qui signale en quelque sorte une nouvelle phase, où l’ambiance extérieure est comme neutralisée.

05-11 Un travelling qui avance sur les néons d’Hiroshima 05, puis un travelling analogue sur Nevers 06 : le contraste est saisissant entre la « place de la République », avec ses platanes et son nom typiquement français, et les enseignes clignotantes en japonais ; le caractère vieillot de Nevers lui donne facilement un air de passé, en opposition avec la modernité d’Hiroshima. Alors suivent trois paires alternées de ces travellings avant sur Hiroshima puis Nevers. Son monologue intérieur reprend, on ne sait si elle parle de l’ancien amant ou du Japonais : « Tu étais fait à la taille de mon corps même… Cette ville était faite à la taille de l’amour. » Les deux villes semblent alors se superposer, se confondre en un même espace mental. Il semble aussi qu’elle prend conscience de raisons obscures qui l’amenèrent là (« J’avais faim d’infidélité, d’adultère, de mensonge »).

 12-13 Puis un travelling en contre-plongée derrière elle la suit 12. Nous revenons en quelque sorte vers Hiroshima, car en outre ses paroles concernent son aventure ici ; de nouveau, deux plans de Nevers en travelling avant, des arbres, 13 puis une façade précise, coupent la séquence. Attendant que le jour se lève, elle pense à un jour qui ne reviendrait pas.

 14-19 De nouveau, un travelling la suit dans Hiroshima, puis des enseignes en contre-plongée, puis un plan large la montre avancer de loin, passant devant le stand d’un vendeur, comme si la séquence était progressivement revenue dans le présent 14. Même si ensuite interviennent deux plans de Nevers en travelling avant, dont l’église 19. Ses paroles envisagent la suite de la relation amoureuse avec le Japonais, soit l’oubli.

Ensuite, c’est le dernier temps de la séquence : le Japonais va revenir et elle pourra lui parler. Dans un plan d’ensemble, elle avance puis s’engouffre sous une arcade au moment même où elle prononce la phrase « puis il [le temps] disparaîtra tout à fait » 20. Un travelling latéral rapide nous montre la rue adjacente.

Ainsi, cette parenthèse que fut l’errance nocturne, filmée au plus près des états subjectifs du personnage, doublement évoqués (par les mots et les images) sur deux registres complémentaires, nous montre le mouvement de pensée par lequel elle en vient à répondre à la demande que le Japonais lui avait adressée au début de la séquence : « Reste avec moi. »

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